Burundi : Discours du président de l’Union Burundaise des Journalistes, UBJ à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse

Alexandre Niyungeko

Chers camarades,

L’Union Burundaise des Journalistes, le leader dans la défense de la liberté de la presse et des droits des journalistes au Burundi voudrait se joindre au monde entier à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse. La célébration mondiale se déroule à Addis Abeba, en Ethiopie (du 1 au 3 mai 2019), sous les auspices de l’UNESCO en partenariat avec l’Union Africaine et le gouvernement éthiopien.

Chaque année, le 3 mai nous donne l’opportunité de célébrer les principes fondamentaux de la liberté de la presse, d’évaluer l’état de la liberté de la presse dans le monde, de défendre les journalistes et les médias contre les attaques à leur indépendance et de rendre hommage aux journalistes emprisonnés ou qui ont perdu leurs vies dans l’exercice de leur profession.

Au Burundi, un devoir de mémoire est réservé aux nôtres qu’on a forcé de nous quitter; notre confrère Christophe Nkezabahizi lâchement assassiné avec toute sa famille, le 13 octobre 2015, notre confrère Jean Bigirimana, enlevé par les agents du Service National des Renseignements le 22 Juillet 2016, jusqu’aujourd’hui introuvable.

Chers camarades,

Pour cette année 2019,


“Les médias pour la démocratie : Journalisme et élections en temps de désinformation ”, 

c’est le thème qui a été retenu par l’Unesco sur le plan international. Une occasion d’échanger sur des problématiques comme :

Comment le journalisme peut-il rivaliser avec le contenu émotionnel et les fausses informations dans un contexte électoral ?

Que faire pour contrer les discours dénigrant les journalistes ?

Dans quelle mesure les régulations électorales doivent-elles s’appliquer à Internet ?

Ce débat est-il encore possible dans notre pays où déjà la presse burundaise est malmenée, presque interdite et où tous les journalistes ne jouissent plus de leurs droits à l’exercice de la profession ?

Depuis quatre ans, toutes les libertés fondamentales sont foulées au pied, des mesures restrictives sont prises même par des institutions qui étaient sensées promouvoir l’exercice de la profession. Les mois se suivent et se ressemblent pour les journalistes Burundais. Aucun répit ne semble pour le moment se faufiler à l’horizon pour leur permettre de faire leur métier en toute indépendance. Au fil des années depuis 2015, aucune amélioration n’est à signaler par rapport au respect des droits des professionnels des médias. L’année 2019 ne diffère donc en rien aux mois précédents et commence décidément mal pour les professionnels des médias burundais. Arrestations arbitraires, rétrécissement de l’espace des libertés, déni de leurs droits aux sources d’information leur reconnu par la loi, sont répertoriés encore une fois comme des obstacles majeurs à l’exercice de la profession.

Les dernières mesures prises par le Conseil National de la Communication sont évocatrices à ce propos. Et le timing de la décision n’est peut-être pas anodin non plus. Ces médias internationaux avaient été suspendus en 2018 pour six mois à deux semaines justement du referendum constitutionnel. Le fait qu’ils soient suspendus à quelques mois des élections de 2020 cachent mal la volonté délibérée de Bujumbura de ne pas laisser le terrain libre aux témoins de ses actes répréhensibles.

Chers camarades,

Cela fait bientôt 4 ans qu’une centaine de professionnels des médias a été contraint à l’exil, pour la simple raison d’avoir opté pour l’exercice de leur métier de journaliste. Le pluralisme des médias, même en exil, est toujours garanti. L’engagement pour le droit du public à l’information est un combat noble; un combat que nous devons absolument mener avec nos stylos, nos enregistreurs, nos caméras et nos téléphones, dans le strict respect des normes professionnelles.

La situation n’est certes pas facile mais nous devons montrer notre résilience, et surtout et surtout garder notre dignité.

Oui, garder notre dignité malgré que les conditions de vie et de travail ne soient pas ce que nous aimerions. Nous devons garder en tête que cette situation est passagère et que nous sommes appelés, comme gestionnaires des projets, à transformer les défis en opportunités !

Chers camarades,

Le 3 Mai est aussi une occasion de faire un clin d’oeil aux brebis égarés ou alors aux loups qui se font passer pour des agneaux qui jouent avec le feu en s’adonnant à la diffusion des messages de haine.

Rien que pour ce mois de Mars 2019, plus d’une dizaine de messages de haine ont fait la boucle sur certaines antennes des radios, “proches du pouvoir”, selon le rapport de monitoring des discours de haine de l’UBJ. C’est comme ce représentant du parti au pouvoir qui, publiquement exerce une forme de violence aux militants en les forçant à n’adhérer qu’à l’idéologie du CNDD-FDD, l’idéologie fonctionnant en effet, d’après Cyril Torquinio, « sur un principe où l’Etat fixe au peuple ce qu’il doit penser pour faire ce qu’il a à faire ».

Enfin, un autre qui se présente comme consultant et un autre de la société civile ont considéré les membres d’un parti politique de l’opposition comme des malfaiteurs, des gens qui se battent dans les cabarets. Les membres de ce parti qui s’offrent comme une alternative sont harcelés, emprisonnés pour leur volonté seulement d’appartenir à un parti autre que le CNDD-FDD.

Cette attitude est annonciatrice des problèmes notamment des violences qui vont marquer les élections de 2020.

Le Conseil National de la Communication, au lieu de s’évertuer à s’ériger en instrument de répression, devrait plutôt se ressaisir et jouer pleinement et sérieusement son rôle régulateur pour le bénéfice du public.

Aux camarades instrumentalisés, nous entendons souvent la chanson, nous n’avons pas de choix, nos responsables nous ont obligé de dire ceci et cela. Autant nous reconnaissons que vous pouvez disposer de peu de manoeuvres de faire mieux, mais tout au moins vous avez le droit de vous taire, de ne pas porter votre voix à la dissémination des discours de haine. Vous devriez vous rappeler que tôt ou tard la vérité la vérité finira par triompher et la justice restaurée.

Chers camarades,

Malgré tout, je m’en voudrais de ne pas vous souhaiter bonne fête. Oui, bonne fête malgré que plusieurs d’entre nous ne pouvons plus mettre le pied sur la terre de nos ancêtres puisque nous avons choisi notre métier, le journalisme!

Et bonne fête malgré que plusieurs d’entre nous, chez nous, vivons dans la peur quotidienne d’être victime d’un lynchage ou disparition forcée puisque nous sommes journalistes!

Vive la liberté de la presse,

Vive le professionnalisme journalistique dans nos médias,

Vive la solidarité professionnelle,

Je vous remercie